Jurisprudence 10226/2003 (08/07/2008)
Type: Arrêt
Autorité: Autorités européennes: Cour européenne des droits de l'homme
Date: 08/07/2008
Objet: La Cour conclut, par treize voix contre quatre, à la non-violation de l’article 3 du Protocole no 1 (droit à des élections libres) à la Convention européenne des droits de l’homme.
Les requérants alléguaient que le seuil électoral de 10 % imposé sur le plan national pour les élections législatives portait atteinte à la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. Ils invoquaient l’article 3 du Protocole no 1 (droit à des élections libres).
La Cour estime que le seuil électoral de 10 % imposé sur le plan national aux partis politiques pour obtenir une représentation parlementaire, constitue une ingérence dans les droits électoraux des requérants. Cette mesure a pour but légitime d’éviter une fragmentation excessive et non fonctionnelle de la composition du Parlement, et donc de renforcer la stabilité gouvernementale.
La Cour observe que ce seuil national de 10 % est le plus élevé de tous les seuils adoptés dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Seuls trois autres Etats membres ont opté pour des seuils élevés (7 ou 8 %). Un tiers des Etats imposent un seuil de 5 % et treize Etats ont préféré placer la barre plus bas.
La Cour attache aussi de l’importance aux considérations des organes du Conseil de l’Europe qui concordent quant au caractère exceptionnel et élevé du seuil litigieux et préconisent l’abaissement de celui-ci.
La Cour relève cependant que les effets d’un seuil électoral peuvent différer d’un pays à l’autre et que le rôle joué par les seuils diffère en fonction notamment de leur hauteur et de la configuration des partis en place dans chaque pays. Un seuil bas n’écarte que les très petites formations, ce qui rend plus difficile la constitution de majorités stables, alors qu’en cas de forte fragmentation du paysage politique, un seuil élevé conduit à exclure de la représentation une part importante des suffrages.
La multitude de situations prévues dans les législations électorales des Etats membres montre la diversité des choix possibles. Il en ressort également que la Cour ne saurait évaluer le seuil en question sans tenir compte du système électoral dans lequel il s’inscrit, même si elle peut admettre qu’un seuil électoral d’environ 5 % correspond davantage à la pratique commune des Etats membres. Toutefois, tout système électoral doit s’apprécier à la lumière de l’évolution politique du pays. C’est pourquoi, la Cour estime devoir examiner les correctifs et autres garanties dont le système en l’espèce se trouve assorti, pour en évaluer les effets.
En ce qui concerne la possibilité de se présenter comme candidat indépendant, la Cour souligne la contribution irremplaçable que les partis apportent au débat politique. Elle constate cependant que ce moyen n’est pas dénué d’effet en pratique, les élections de 2007 l’ont montré notamment, et que l’absence de seuil applicable aux indépendants a considérablement facilité l’adoption d’une telle stratégie électorale. L’autre possibilité est de constituer une coalition électorale avec d’autres formations politiques. Le recours à cette stratégie a donné des résultats tangibles, notamment à l’issue des élections de 1991 et 2007.
Certes, dans la mesure où à l’issue des élections de novembre 2002, environ 14,5 millions de voix exprimées n’ont pas donné lieu à une représentation parlementaire, ces stratégies électorales ne peuvent avoir qu’une portée limitée. Cependant, les élections de 2002 se sont déroulées dans un climat de crise à causes multiples (crises économiques et politiques, tremblements de terre), et le défaut de représentation observé à leur issue pourrait être en partie contextuel et n’être pas dû uniquement au seuil national élevé. La Cour de relever qu’il s’agit de la seule élection depuis 1983 où la part des voix n’ayant pas donné lieu à une représentation parlementaire fut si élevée.
Par conséquent, les partis politiques touchés par le seuil ont réussi en pratique à développer des stratégies permettant d’en atténuer certains effets, même si ces stratégies vont aussi à l’encontre de l’un des buts visés par ce seuil, qui est d’éviter la fragmentation parlementaire.
La Cour accorde également de l’importance au rôle de la Cour constitutionnelle. Son activité, qui veille à prévenir les excès du seuil en recherchant le point d’équilibre entre les principes de la juste représentation et de la stabilité gouvernementale, constitue une garantie destinée à empêcher que par l’effet de ce seuil, le droit visé à l’article 3 du Protocole no 1 ne soit atteint dans sa substance.
En conclusion, la Cour considère que d’une manière générale, un seuil électoral de 10 % apparaît excessif et elle souscrit aux considérations des organes du Conseil de l’Europe qui en préconisent l’abaissement. Ce seuil contraint les partis politiques à recourir à des stratagèmes qui ne contribuent pas à la transparence du processus électoral.
En l’espèce, toutefois, la Cour n’est pas convaincue que, considéré dans le contexte politique propre aux élections en question et assorti des correctifs et autres garanties qui en ont circonscrit les effets en pratique, le seuil de 10 % critiqué a eu pour effet d’entraver dans leur substance les droits des requérants garantis par l’article 3 du Protocole no 1. Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.
Parties: Yumak e Sadak c/ Turchia
Classification: Citoyenneté - Art. 39 Droit de vote aux élections au parlement européen - Droit d’éligibilité au parlement européen - Suffrage universel, direct, libre et secret