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  Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies, sur le rapport de la 10 ème sous-section de la section du contentieux
Séance du 31 octobre 2008 Lecture du 14 novembre 2008
N°315622

M. E.S.

   



Texte intégral

 
   


Vu le pourvoi, enregistré le 25 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M.  E. S, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 15 avril 2008 par laquelle, en application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a rejeté, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, sa demande tendant à la suspension de l'exécution du régime spécial des fouilles intégrales, comportant 4 à 8 inspections anales et leur enregistrement vidéo, auquel. il est soumis à l’occasion des extractions judiciaires quotidiennes nécessitées par ses comparutions devant les juridictions judiciaires ;

2°) statuant en référé, d’ordonner la suspension demandée en première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

 

il soutient que le juge des référés du tribunal administratif de Pau a commis une erreur de droit en estimant que le litige ne ressortissait pas à la compétence de la juridiction administrative ;

Vu l’ordonnance attaquée ;

Vu les interventions, enregistrées les 25 avril et 11 septembre 2008, présentées pour la section française de l’observatoire international des prisons, qui demande que le Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions du pourvoi de M. E. S.; elle reprend les moyens exposés dans le pourvoi de M. E. S. ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 août 2008, présenté par la garde des sceaux, ministre de la justice, qui conclut au rejet du pourvoi ; elle soutient, à titre principal, que le litige ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative ; à titre subsidiaire, que la condition d’urgence n’est pas remplie et qu’aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne peut être relevée ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2008, présenté par la garde des sceaux, ministre de la justice, qui reprend les conclusions de son précédent mémoire et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que la section française de l’observatoire international des prisons n’est pas recevable à intervenir dans le litige en invoquant un fondement différent, l’article L. 521-1 du code de justice administrative, de celui invoqué par le requérant, l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;

 

                                          
                                           Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des doits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu le code de justice administrative ;
                       

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Brice Bohuon, Auditeur,

- les observations de Me Spinosi, avocat de M E. S. et de la section française de l'observatoire international des prisons,

- les conclusions de M. Julien Boucher, Commissaire du gouvernement ;

 

Sur l’intervention de la section française de l’observatoire international des prisons :

Considérant que la section française de l’observatoire international des prisons a intérêt à l’annulation de l’ordonnance attaquée ; qu’ainsi son intervention, qui ne soulève pas de litige distinct, est recevable ;

Sur l’ordonnance attaquée :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (…)» ; qu’en vertu de l’article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d’urgence n’est pas remplie ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée ;

Considérant qu’il n’est pas contesté que M. E. S. fait l’objet d’une décision le soumettant à un régime de fouilles corporelles intégrales, opérées quatre à huit fois par jour, s’appliquant lors de ses extractions du centre de détention nécessitées par ses comparutions devant les juridictions judiciaires, en particulier lors de deux procès d’assises qui se sont déroulés du 9 au 18 avril 2008 et du 6 au 21 juin 2008, mais également à l’occasion de futurs procès ; que ces fouilles, réalisées par des agents de l’administration pénitentiaire, font l’objet d’un enregistrement audiovisuel. conformément à la circulaire du garde des sceaux, ministre de la justice, du 9 mai 2007 ; que M. E. S. demande l’annulation de l’ordonnance du 15 avril 2008 par laquelle, en application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a rejeté, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, sa demande, fondée sur l’article L. 521-2 du même code, tendant à la suspension de l'exécution de la décision le soumettant à ce régime de fouilles ;

Considérant que l’article D. 275 du code de procédure pénale dispose : « Les détenus doivent être fouillés fréquemment et aussi souvent que le chef de l'établissement l'estime nécessaire. / Ils le sont notamment à leur entrée dans l'établissement et chaque fois qu'ils en sont extraits et y sont reconduits pour quelque cause que ce soit. Ils doivent également faire l'objet d'une fouille avant et après tout parloir ou visite quelconque. / Les détenus ne peuvent être fouillés que par des agents de leur sexe et dans des conditions qui, tout en garantissant l'efficacité du contrôle, préservent le respect de la dignité inhérente à la personne humaine » ; qu’aux termes de l’article D. 293 du même code : « Aucun transfèrement, aucune extraction ne peut être opéré sans un ordre écrit que délivre l'autorité compétente. / Cet ordre, lorsqu'il n'émane pas de l'administration pénitentiaire elle-même, est adressé par le procureur de la République du lieu de l'autorité requérante au procureur de la République du lieu de détention (…) » ; que selon l’article D. 294 : « Des précautions doivent être prises en vue d'éviter les évasions et tous autres incidents lors des transfèrements et extractions de détenus. / Ces derniers sont fouillés minutieusement avant le départ (…) » ;

Considérant que s’il n’appartient qu’au juge judiciaire de connaître des actes relatifs à la conduite d’une procédure judiciaire ou qui en sont inséparables, les décisions par lesquelles les autorités pénitentiaires, afin d’assurer la sécurité générale des établissements ou des opérations d’extraction, décident de soumettre un détenu à des fouilles corporelles intégrales, dans le but de prévenir toute atteinte à l’ordre public, relèvent de l’exécution du service public administratif pénitentiaire et de la compétence de la juridiction administrative ; qu’il en va ainsi alors même que les fouilles sont décidées et réalisées à l’occasion d’extractions judiciaires destinées à assurer la comparution d’un détenu sur ordre du procureur de la République, y compris lorsque les opérations de fouille se déroulent dans l’enceinte de la juridiction et durant le procès ; que, par suite, en s’estimant incompétent pour connaître de la requête de M. E. S. contre la décision des autorités pénitentiaires de le soumettre à un régime de fouilles corporelles intégrales répétées plusieurs fois par jour, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a commis une erreur de droit ; que, dès lors, son ordonnance doit être annulée ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Considérant que l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales stipule : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ;

Considérant que si les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l’application à un détenu d’un régime de fouilles corporelles intégrales répétées, c’est à la double condition, d’une part, que le recours à ces fouilles intégrales soit justifié, notamment, par l’existence de suspicions fondées sur le comportement du détenu, ses agissements antérieurs ou les circonstances de ses contacts avec des tiers et, d’autre part, qu’elles se déroulent dans des conditions et selon des modalités strictement et exclusivement adaptées à ces nécessités et ces contraintes ; qu’il appartient ainsi à l’administration de justifier de la nécessité de ces opérations de fouille et de la proportionnalité des modalités retenues ;

Mais considérant que, pour l’application des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, les conditions relatives à l’urgence, d’une part, et à l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, d’autre part, présentent un caractère cumulatif ; qu’il n’est pas établi, ni même allégué, que M. E. S. devrait faire prochainement l’objet d’une extraction à laquelle le régime litigieux s’appliquerait ; qu’ainsi, à défaut d’urgence, la demande présentée au titre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative par M. E. S. doit être rejetée ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat la somme demandée par M. E. S. au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’intervention de la section française de l’observatoire international des prisons est admise.

Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Pau en date du 15 avril 2008 est annulée.

Article 3 : La demande présentée par M. E. S. devant le juge des référés du tribunal administratif de Pau, ainsi que le surplus de ses conclusions devant le Conseil d'Etat, sont rejetés.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. E. S., à la section française de l’observatoire international des prisons et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

   
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