Edition provisoire
Demandeurs d’asile et réfugiés: pour un partage des
responsabilités en Europe
Résolution 1820 (2011)1
1. L'Assemblée parlementaire estime que des
mesures supplémentaires sont nécessaires pour s'assurer que
les responsabilités en ce qui concerne les réfugiés et les
demandeurs d'asile sont équitablement partagées en Europe et
que les personnes à la recherche d’une protection
internationale ont accès à des systèmes de traitement de leurs
demandes équitables et efficaces.
2. Les
conflits récents en Afrique du Nord ont résolument remis cette
question à l'ordre du jour. A la date du 10 mai 2011, suite à
la nouvelle vague de migration, 34 460 personnes avaient
débarqué en Italie (environ 23 000 migrants en situation
irrégulière et 11 000 demandeurs d'asile/réfugiés), et
1 106 personnes à Malte (quasiment tous demandeurs
d'asile ou réfugiés). Si le nombre des migrants entrés en
Europe est relativement élevé, il doit néanmoins être replacé
dans le contexte des 750 000 personnes qui se sont
réfugiées dans les pays d'Afrique du Nord voisins de la
Libye.
3.
L'Assemblée note que le nombre de demandeurs d'asile en
Europe, en particulier ceux qui viennent du sud de la
Méditerranée, ne devrait pas poser à l'Europe dans son
ensemble un problème insurmontable. Cela étant, leur
concentration dans certaines régions sera pour les pays ou les
régions concernées beaucoup plus problématique. Malte
notamment, compte tenu de sa superficie et de sa population,
et la petite île de Lampedusa risquent d'être soumises aux
plus grandes tensions.
4. L'Assemblée estime que tous les Etats
membres du Conseil de l'Europe ont pour devoir primordial de
s'acquitter des obligations juridiques et humanitaires
internationales qu’ils ont contractées au titre de la
Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des
réfugiés.
5. La
protection effective des demandeurs d'asile et des réfugiés
dans le monde ne peut être assurée sans un partage des
responsabilités entre les Etats. Les pays méditerranéens
situés en première ligne ont, par exemple, demandé un plus
grand partage des responsabilités pour faire face à l'afflux
important de demandeurs d'asile et de réfugiés sur les rives
sud de l'Europe.
6. Tous les Etats membres du Conseil de
l'Europe devraient participer pleinement aux programmes du
Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)
pour la réinstallation des réfugiés et accepter que, compte
tenu de la répartition géographique inégale des réfugiés, un
partage équitable des responsabilités en ce qui concerne leur
réinstallation est essentiel.
7. Pour encourager ce partage équitable des
responsabilités, il conviendrait de fournir aux parlementaires
nationaux davantage d'informations pour qu’ils puissent peser
sur leurs gouvernements et amener ces derniers à respecter
leurs obligations morales. Par exemple, en 2010, les pays
européens n'ont réinstallé que 5 824 réfugiés, contre
54 077 pour les Etats-Unis et 6 732 pour le Canada.
8. Il est de la plus haute importance que les
intérêts des réfugiés et des demandeurs d'asile soient bien
différenciés de ceux des migrants économiques.
9. La porosité des frontières extérieures
favorise les actes d'extorsion et le trafic illicite de
migrants à l'échelle internationale. C'est pourquoi les Etats
membres doivent prendre des mesures plus efficaces pour
maintenir l'intégrité de leurs frontières nationales.
10. Pour dissuader les passeurs d'utiliser la
haute mer pour leur odieux commerce, les Etats membres
devraient envisager l'utilisation de bateaux de la police
maritime. Ces bateaux devraient être suffisamment équipés pour
permettre l'identification des personnes qui nécessitent
éventuellement une protection internationale, ce que font déjà
les garde-côtes des Etats-Unis avec succès.
11. L'Assemblée prend note du vif débat qui
anime les 27 Etats de l'Union européenne pour définir le
partage des responsabilités. Le règlement de Dublin II,
conçu pour éviter la course au «tribunal du mieux-disant» et
les demandes d'asile multiples, n’est plus pleinement
efficace, car certains pays, notamment la Grèce, ne peuvent
plus s'acquitter de leurs obligations et offrir des systèmes
équitables et efficaces pour traiter les demandes d'asile.
Cela dit, il est inacceptable que la situation en Grèce, en
particulier dans ses centres de rétention, ne soit toujours
pas conforme aux normes internationales. L'Union européenne
aurait dû conditionner son aide financière à la Grèce au
respect par celle-ci de ses obligations internationales en
matière de protection des réfugiés et des demandeurs d'asile.
12. De
l’avis de l'Assemblée, la situation actuelle et le status
quo ne sont pas satisfaisants. Des mesures doivent être
prises, et ce pour trois raisons principales. La première est
que plusieurs Etats membres ne font pas face à la situation et
qu'il existe un vrai risque d'afflux continu, source de
tensions et de problèmes supplémentaires. Deuxièmement, il est
manifeste que le système Dublin n'est pas équitable et qu'il y
a lieu de le réformer, comme en témoigne la dernière
condamnation en date formulée par la Cour européenne des
droits de l'homme dans son arrêt rendu en début d'année
(M.S.S. c. Belgique et Grèce). Troisième raison, la
question du partage des responsabilités commence à causer des
dommages collatéraux, les nouvelles frictions au sein des
Etats membres de l'Union européenne visant les pays de
l’Espace Schengen. Certains pays ayant fourni à des migrants
en situation irrégulière des papiers les autorisant à voyager
librement à l'intérieur de cet espace, des tensions sont
apparues, qui ont aujourd’hui atteint le niveau
intergouvernemental au sein de l’Union européenne. Ces
problèmes doivent être résolus.
13. Vu
sous l'angle du Conseil de l'Europe, il importe que les pays
de l'Union européenne ne soient pas considérés comme ayant un
statut spécial et les mêmes principes devraient s'appliquer
dans l'ensemble des 47 pays. Il serait donc inapproprié que
l'Assemblée émette un avis définitif sur l’attitude que
devrait adopter l'Union européenne pour faire face à ses
problématiques actuelles concernant Schengen, l'Agence
européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle
aux frontières extérieures des États membres de l'Union
européenne (Frontex) et son souhait de définir une politique
communautaire en matière d'immigration et d'asile, sauf dans
le contexte des droits de l'homme.
14. Cela
étant, l'Union européenne dispose de ressources financières et
matérielles, qui devraient être plus largement accessibles aux
Etats membres du Conseil de l'Europe. Frontex a accès à des
données satellitaires qui devraient lui permettre de repérer
les embarcations transportant des migrants d'Afrique du Nord
en vue de leur interception coordonnée. L'Union européenne est
aussi en mesure de faciliter les accords bilatéraux et
multilatéraux pour contribuer à réduire la pression qui
s'exerce sur certains points d'entrée comme la frontière entre
la Turquie et la Grèce.
15. Pour
aborder de front la question du partage des responsabilités en
Europe, en tenant compte des obligations actuelles et en
prévision des évolutions futures, l'Assemblée appelle tous les
Etats membres:
15.1. à
encourager une réforme du système Dublin pour assouplir,
lorsque cela est nécessaire, l'application du principe selon
lequel les demandes d'asile sont examinées dans le premier
pays d'arrivée;1
15.2. à
apporter une assistance directe aux pays qui en ont besoin,
en particulier à ceux qui sont actuellement confrontés à des
flux migratoires mixtes de grande ampleur venant de la rive
sud de la Méditerranée, notamment:1
15.2.1.
en prenant part aux opérations de contrôle aux frontières,
d'interception de bateaux et de sauvetage de
personnes;
15.2.2.
en facilitant l'accueil des personnes, y compris en
contribuant aux infrastructures et à leur
fonctionnement;
15.2.3.
en apportant une assistance pour identifier les personnes
qui pourraient avoir besoin d’une protection
internationale;
15.2.4.
en apportant une aide pour examiner les demandes d'asile
et garantir l'équité et l'efficacité des procédures
d'asile;
15.2.5.
en facilitant les retours (des migrants en situation
irrégulière et des demandeurs d'asile déboutés, y compris
des personnes détenues qui souhaitent retourner dans leur
pays d'origine);
15.2.6.
en acceptant, en priorité, la relocalisation
intra-européenne depuis les pays connaissant des
difficultés, avant ou après le processus d'examen des
demandes d'asile, et la réinstallation depuis des pays
hors de l'Europe en coopération pleine et entière avec le
HCR;
15.2.7.
en prenant des mesures pour s'attaquer aux causes
premières des flux de demandeurs d'asile, de réfugiés et
de migrants en situation irrégulière;
15.2.8.
en encourageant la coopération entre les pays d'accueil et
les pays par lesquels les migrants en situation
irrégulière et les demandeurs d'asile ont transité depuis
leur départ de leur pays d'origine;
15.2.9.
en proposant rapidement une assistance aux pays qui, comme
la Turquie, accueillent des civils qui fuient les
persécutions et les actions militaires dans des pays
voisins;
15.3. à
recourir davantage aux interceptions en mer sur la base du
renseignement, de façon à coordonner les actions pour lutter
contre les passeurs. 1
16.
L'Assemblée reconnaît qu’un plus grand partage des
responsabilités ne peut être efficace sans un engagement des
pays qui sont en première ligne de l'afflux actuel de
demandeurs d'asile:
16.1.
pour garantir l'accès de leur territoire à toute personne
qui pourrait avoir besoin d'une protection
internationale;
16.2.
pour offrir des conditions d'accueil conformes aux règles
humanitaires pertinentes et aux normes qui s'appliquent en
matière de droits de l'homme;
16.3.
pour assurer un traitement rapide et équitable des demandes
d'asile et garantir la qualité et la cohérence des
décisions;
16.4.
pour garantir l'intégrité de leurs frontières et contrôler
les flux migratoires irréguliers.
17.
Reconnaissant la responsabilité particulière, les ressources
et le mandat de l'Union européenne en la matière, l’Assemblée
appelle l'Union européenne:
17.1. à
modifier, selon qu'il conviendra et dans les meilleurs
délais, le système Dublin, notamment à la lumière de l'arrêt
de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire
M.S.S. c. Belgique et Grèce, en vue d’assurer à la
fois un traitement équitable et des garanties suffisantes
aux demandeurs d'asile et aux bénéficiaires de la protection
internationale mais aussi d'aider les Etats membres à faire
face à d'éventuelles situations de tension
exceptionnelle;1
17.2. à
veiller à ce que ses fonds soient suffisamment souples et
faciles à mobiliser, de façon à pouvoir réagir rapidement en
cas d'urgence ou d'imprévu, et à examiner la possibilité de
financer des infrastructures, en particulier pour assurer
des conditions d'accueil satisfaisantes;1
17.3. à
veiller qu'en ce qui concerne ses membres, il existe des
statistiques fiables et cohérentes concernant les demandes
de protection internationale, l’octroi du statut de réfugié
et du droit d'asile, la détection et le retour des migrants
en situation irrégulière et des estimations réalistes du
nombre d'immigrés clandestins entrant dans l'Union
européenne;1
17.4. à
trouver rapidement un accord sur la proposition de la
Commission européenne concernant la mise en place d'un
programme européen commun de réinstallation, à mettre en
œuvre en étroite coopération avec le HCR;1
17.5. à
s'assurer, en révisant le règlement Frontex, que sont
inclues des garanties de plein respect des droits de
l'homme;1
17.6. à
s’attaquer à la croissance alarmante du nombre de documents
de voyage contrefaits qui circulent en Europe et à répondre
aux prévisions de Frontex concernant l'augmentation de la
migration irrégulière et aux préoccupations d'Europol
concernant les menaces à la sécurité qui en
découlent.1
18. Enfin, l'Assemblée félicite le HCR pour
son action et salue son soixantième anniversaire, et appelle
tous les Etats membres du Conseil de l'Europe à marquer cet
événement en endossant une plus grande responsabilité
s'agissant de la réinstallation des réfugiés et du problème
des demandeurs d'asile en Europe.
1 Discussion par l’Assemblée le
21 juin 2011 (22e séance) (voir Doc.
12630, rapport de la commission des migrations, des
réfugiés et de la population, rapporteur: M. Chope). Texte
adopté par l’Assemblée le 21 juin 2011 (22e
séance).
Voir également la
Recommandation 1973 (2011). |