Conférences et colloques

Edition provisoire

Résolution des problèmes de propriété des réfugiés et des personnes déplacées

Résolution 1708 (2010)1


1.       Le déplacement de millions de personnes à travers le monde est l’un des principaux défis de notre temps en termes de droits de l’homme et sur le plan humanitaire. Pour les réfugiés comme pour les personnes déplacées, la perte de leur logement, de leurs terres et de leurs biens constitue l’obstacle primordial à toute solution durable au problème des déplacements.

2.       Pas moins de 2,5 millions de réfugiés et personnes déplacées sont confrontés à cette situation dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, notamment dans les régions du Caucase du Sud et du Nord, dans les Balkans et en Méditerranée orientale. En Europe, il s’agit souvent d’un problème de longue durée. Nombre des personnes déplacées n’ont pas été en mesure de rentrer chez elles ou d’accéder à leur foyer et à leurs terres depuis les années 1990 et antérieures.

3.       La destruction, l’occupation et la confiscation des biens abandonnés portent atteinte aux droits des personnes concernées, perpétuent le déplacement et compliquent la réconciliation et le rétablissement de la paix. Par conséquent, la restitution des biens – c’est-à-dire le fait de restaurer les anciens occupants dans leurs droits et la possession physique de leurs biens – ou la compensation sont des formes de réparation nécessaires pour restaurer les droits individuels et l’Etat de droit.

4.       L’Assemblée parlementaire considère la restitution comme une réponse optimale à la perte de l’accès aux logements, aux terres et aux biens et des droits de propriété y afférents. C’est en effet la seule voie de recours qui donne le choix entre trois « solutions durables » : le retour des personnes déplacées dans leur lieu de résidence d’origine, dans la sécurité et la dignité ; l’intégration dans le lieu où elles ont été déplacées ; ou la réinstallation dans un autre endroit du pays d’origine ou hors de ses frontières.

5.       L’Assemblée rappelle que les instruments du Conseil de l’Europe prévoient plusieurs garanties, en particulier les articles 6, 8, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 1er de son Protocole additionnel et l’article 2 de son Protocole n° 4, l’article 31 de la Charte sociale européenne révisée et l’article 16 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales.

6.       L’Assemblée attire également l’attention sur les Principes concernant la restitution des logements et des biens dans le cas des réfugiés et des personnes déplacées (« principes de Pinheiro ») qui ont été élaborés par les Nations Unies afin de fournir des orientations sur la manière d’aborder la question des réparations au titre de la perte de biens.

7.       L’Assemblée rappelle la Recommandation Rec(2006)6 du Comité des Ministres relative aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, qui confirme le droit des personnes déplacées de jouir de leurs biens et de recouvrer les biens qu’elles ont laissés à la suite de leur déplacement. A défaut, elles devraient se voir offrir un dédommagement adéquat.

8.       L’Assemblée souligne que tous les Etats membres doivent s’abstenir de favoriser les déplacements et les dépossessions arbitraires et les empêcher. S’ils en ont été incapables, ils doivent offrir un recours effectif devant les juridictions nationales et une réparation.

9.       Au vu de ce qui précède, l’Assemblée appelle les Etats membres à régler les problèmes d’après-conflit liés aux droits de propriété des logements, des terres et des biens que rencontrent les réfugiés et les personnes déplacées, en tenant compte des principes de Pinheiro, des instruments pertinents du Conseil de l’Europe et de la Recommandation Rec(2006)6 du Comité des Ministres.

10.       Etant donné ces normes internationales applicables et l’expérience des programmes de restitution de biens et d’indemnisation qui ont été mis en œuvre en Europe à ce jour, les Etats membres sont invités :

    10.1.       à garantir une réparation effective, dans des délais raisonnables, pour la perte de l’accès aux logements, terres et biens (et des droits y afférents) abandonnés par les réfugiés et les personnes déplacées, sans attendre les négociations concernant le règlement des conflits armés ou le statut d’un territoire donné ;

    10.2.       à veiller à ce que la réparation se fasse sous forme de restitution, en confirmant les droits juridiques des réfugiés et personnes déplacées sur leurs biens et en rétablissant leur accès physique, en toute sécurité, à ces biens, ainsi que leur possession. Lorsque la restitution n’est pas possible, il convient d’octroyer une compensation adéquate en confirmant les droits antérieurs sur les biens et en offrant une somme d’argent ou des biens d’une valeur raisonnablement proche de leur valeur réelle de marché, ou selon toute autre modalité garantissant une juste réparation ;

    10.3.       à veiller à ce que les réfugiés et personnes déplacées dont les droits n’étaient pas officiellement reconnus avant leur déplacement, mais qui bénéficiaient de fait d’un droit de jouissance de leur propriété dont la validité était reconnue par les autorités, se voient accorder un accès égal et effectif aux voies de recours et le droit d’obtenir réparation de leur dépossession. Ceci est particulièrement important lorsque les personnes concernées sont socialement vulnérables ou appartiennent à des groupes minoritaires ;

    10.4.       à veiller à garantir les droits de location et d’occupation de logements publics, sociaux ou relevant de formes de propriété analogues dans les anciens régimes communistes, de manière à ce que ces logements soient reconnus et protégés comme des domiciles au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et comme des biens au sens de l’article 1er de son Protocole additionnel ;

    10.5.       lorsque les titulaires des droits de location et d’occupation ont été contraints d’abandonner leur domicile, à veiller à ce que leur absence du logement soit réputée justifiée jusqu’à ce que les conditions d’un retour volontaire, dans la sécurité et la dignité, aient été rétablies ;

    10.6.       à mettre en place des procédures de demande de réparation rapides, faciles d’accès et efficaces. Lorsque le déplacement et la dépossession ont eu un caractère systématique, il convient de mettre en place des instances de décision habilitées à statuer sur ces demandes, qui appliqueront des procédures accélérées comprenant l’assouplissement des normes en matière de preuve et facilitation de la procédure. Tous les régimes de propriété propres à assurer l’hébergement et la subsistance des personnes déplacées devraient relever de leur compétence, notamment les propriétés à usage résidentiel, agricole et commercial ;

    10.7.       à garantir l’indépendance, l’impartialité et la compétence des instances de décision, notamment en établissant des règles appropriées relatives à leur composition, qui peuvent prévoir la présence de membres internationaux. Elles doivent bénéficier d’un financement suffisant et les organes compétents chargés de l’application des lois doivent être légalement tenus d’appliquer leurs décisions ;

    10.8.       à assurer l’efficacité de la réparation par la restitution des biens abandonnés ou, le cas échéant, par une compensation de valeur équivalente, en adoptant les mesures suivantes :

      10.8.1.       dédommagement pour le préjudice moral subi par suite des circonstances dans lesquelles le déplacement et la dépossession se sont produits et ont perduré ;

      10.8.2.       dédommagement pour le préjudice matériel subi en raison du déplacement et du défaut d’accès aux biens abandonnés, comme par exemple, la perte de revenus et les coûts que les intéressés n’auraient pas eu à supporter s’ils n’avaient pas été contraints au départ ;

      10.8.3.       dédommagement pour la destruction ou la dégradation illégales de biens immobiliers ou pour la perte de biens meubles importants, imputable à l’action ou à l’inaction des autorités dont dépend le territoire où est sise la propriété ;

      10.8.4.       mesures d’assistance et de réintégration afin de favoriser une solution durable : rétablissement de la sécurité, reconstruction des logements et des infrastructures dans les lieux de retour, octroi d’une aide sociale et financière à toutes les personnes déplacées, qu’elles choisissent ou non de rentrer chez elles ;

      10.8.5.       reconnaissance publique, par les autorités concernées, de toute responsabilité dans les atteintes aux droits de l’homme liées au déplacement et conduite d’une enquête exhaustive sur ces violations qui doivent être rendues publiques ; les responsables doivent être tenus de répondre de leurs actes ;

    10.9.       à veiller, le cas échéant, à ce que des voies de recours effectives et le droit d’obtenir réparation de la perte de l’accès aux biens et des droits de propriété s’inscrivent dans le cadre de programmes de réparation plus vastes mis en place en cas de violations systématiques des droits de l’homme. 1

11.       Les Etats membres directement concernés par des réclamations de propriété liées à un déplacement sont :

11.1.       invités à demander une assistance technique à d’autres Etats membres et à des organisations internationales ayant l’expertise juridique et technique voulue et à coopérer avec eux ;

11.2.       encouragés à travailler avec les milieux universitaires et les acteurs de la société civile, ainsi qu’avec les institutions nationales des droits de l’homme, en vue de produire des informations fiables relatives au nombre et à la nature des réclamations de propriété, de formuler des propositions concernant les procédures de traitement de ces réclamations, de contrôler leur mise en œuvre, d’identifier les obstacles et les mesures à prendre pour y faire face et, enfin, de diffuser des informations et des conseils juridiques aux personnes concernées ;

11.3.       encouragés à consulter directement les personnes déplacées et à les faire participer à l’élaboration et à la mise en œuvre des procédures et des modalités de réparation pour les pertes de biens. Les informations concernant ces procédures, notamment les délais fixés ou autres conditions de présentation des réclamations, doivent être mises à la disposition de tous les intéressés dans une langue qu’ils comprennent. Il est particulièrement important que les groupes vulnérables tels que les femmes chefs de famille ou les groupes minoritaires soient associés à ces processus participatifs et qu’il soit tenu compte de leur avis, tout en respectant la sécurité et le droit à la vie privée de toutes les personnes concernées.

12.       Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont fait un excellent travail de mise en lumière des problématiques de propriété liées au déplacement en Europe dans le cadre de leurs mandats respectifs. Ils sont encouragés à poursuivre et élargir leurs efforts en vue de garantir le règlement de ces problèmes au niveau national.


1 Discussion par l’Assemblée le 28 janvier 2010 (8e séance) (voir Doc. 12106, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, rapporteur: M. Poulsen). Texte adopté par l’Assemblée le 28 janvier 2010 (8e séance).

Voir également la Recommandation 1901 (2010).

     
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