Edition provisoire
L’avenir du Conseil de l’Europe à la lumière de ses 60
années d’expérience
Résolution 1689 (2009)1
1. Il y a
soixante ans, les Etats fondateurs du Conseil de l’Europe lui
ont confié la mission de réaliser une union plus étroite entre
ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et
les principes de liberté individuelle, de liberté politique et
de prééminence du droit, qui sont leur patrimoine commun et
sur lesquels se fonde toute démocratie véritable.
2. Dans
l’Europe actuelle, la démocratie, les droits de l’homme et la
prééminence du droit font partie intégrante de la vie
quotidienne des Européens. La contribution de notre
Organisation à ce qu’il en soit ainsi a été décisive. Elle
reste le principal garant de la pérennité de ces valeurs.
C’est vers le Conseil de l’Europe, en particulier vers la Cour
européenne des droits de l’Homme, que les Européens se
tournent en dernier ressort lorsqu’ils estiment que leurs
droits sont violés.
3. Pour
que le Conseil de l’Europe puisse rester l’institution clé de
promotion et de protection efficaces des principes et valeurs
fondamentaux au service de tous les Européens, sa pertinence,
son fonctionnement et son efficacité doivent être constamment
améliorés. A cette fin, une analyse critique et honnête des
orientations stratégiques de l’Organisation, de ses atouts et
potentialités, mais aussi de ses défaillances, points faibles
et limites, est indispensable.
4. En
soixante ans, la situation géopolitique globale et européenne
a connu des transformations bouleversantes. La fin de la
guerre froide et l’effondrement des anciens régimes
communistes ont rendu possible la réunification de l’Europe
sur la base des idéaux et principes que défend le Conseil de
l’Europe. Il est tout à fait naturel que notre Organisation
ait été la première à accueillir en son sein les Etats de
l’Europe centrale et orientale qui se sont engagés à respecter
ces valeurs et à mettre à leur disposition son expérience.
5.
Aujourd’hui, avec 47 Etats membres, le Conseil de l’Europe
représente l’organisation paneuropéenne la plus large. Son
rôle se décline en trois volets : institution-cadre pour
la défense et la promotion de la démocratie pluraliste, des
droits de l’homme et de la prééminence du droit ; cadre
d’activités normatives et espace juridique européen ;
laboratoire d’idées et forum large et inclusif de dialogue et
de coopération politiques. L’acquis du Conseil de l’Europe
dans ces domaines est unique et constitue une contribution
indispensable à l’Europe d’aujourd’hui. Il doit être
précieusement gardé et renforcé.
6. En
soixante ans, le paysage institutionnel européen a également
profondément changé. Pionnier de l’unité européenne – qui est
son but statutaire – le Conseil de l’Europe s’est spécialisé
dans la défense des valeurs fondamentales, et a partagé avec
d’autres organisations son rôle en matière d’intégration
européenne. En effet, un nombre croissant d’Etats membres du
Conseil de l’Europe ont décidé de s’engager dans une
coopération plus avancée et approfondie dans d’autres
enceintes, surtout au sein de l’Union européenne.
7.
Cependant, le projet politique qui vise l’unité européenne
dépasse les limites de l’Union européenne. Dans de nombreux
domaines, la coopération européenne ne peut être efficace que
si elle englobe le continent tout entier.
8. Le
Statut du Conseil de l’Europe, ses instruments juridiques, son
expérience et sa compétence en font un cadre approprié pour
développer la coopération paneuropéenne sur un pied d’égalité.
Il est donc primordial, pour l’avenir du Conseil de l’Europe,
que son rôle d’organisation politique paneuropéenne soit
réaffirmé et revitalisé, et qu’il continue à offrir aux Etats
européens qui n’adhéreront pas à l’Union européenne, la
possibilité de participer à la construction d’une Europe unie.
9. En
même temps, il est nécessaire de parvenir à une
complémentarité accrue entre l’action du Conseil de l’Europe
et celles de l’Union européenne et l’Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe (OSCE) basée sur leurs
compétences et domaines d’excellence respectifs, ainsi que sur
les accords de coopération (Memorandum d’accord) signés avec
ces organisations. Sur ce point, l’Assemblée estime qu’un
partenariat plus avancé serait souhaitable avec l’OSCE, compte
tenu des compétences de cette institution en matière de
sécurité.
10. L’un
des avantages comparatifs du Conseil de l’Europe est sa
fonction traditionnelle de « réservoir d’idées », sa
force de s’attaquer aux problèmes de société, à moyen et à
long terme, et à œuvrer à l’élaboration de normes et de
politiques. Combinée avec le rôle de l’Organisation dans le
suivi de la mise en œuvre des normes et du respect des
obligations, cette qualité a été le gage de la pertinence du
Conseil de l’Europe pour ses Etats membres.
11. Pour
qu’il continue d’en être ainsi, le Conseil de l’Europe doit
rester ferme dans la défense des valeurs fondamentales tout en
étant ouvert au dialogue et prêt à fournir son assistance. Il
doit rester vigilant aux transformations de la société
européenne sans chercher à éviter des sujets controversés,
évaluer leur impact sur les valeurs essentielles et proposer
des réponses adaptées. Il doit veiller à la mise en œuvre et
au suivi efficaces de ses travaux. Il doit surtout renforcer
ses canaux de communication avec les différents niveaux de la
société européenne.
12. Les
réussites indéniables de l’action du Conseil de l’Europe ne
doivent pas empêcher le constat et la réflexion sur certains
problèmes et difficultés dans son fonctionnement. A ce propos,
l’Assemblée est préoccupée par certaines tendances qui
pourraient signifier la baisse de l’engagement des Etats
membres en faveur du Conseil de l’Europe : le faible
niveau de participation des ministres des Affaires étrangères
aux sessions ministérielles du Comité des Ministres ; le
contrôle insuffisant de l'application des résolutions et
recommandations de l'Assemblée parlementaire ; la
croissance zéro en termes réels du budget ordinaire de
l’Organisation ; la réticence parmi les Etats membres à
signer et ratifier les instruments juridiques du Conseil de
l’Europe ; les tentatives de minimiser l’importance des
différents mécanismes indépendants du monitoring, voire de les
mettre en cause. Ces tendances doivent être renversées, pour
que l’engagement des Etats à la cause du Conseil de l’Europe
soit confirmé par des actes concrets.
13.
L’Assemblée est également préoccupée par une tendance
dangereuse dans les activités du Conseil de l’Europe, y
compris dans ses propres travaux, de privilégier une approche
à travers le prisme d’opportunité politique des problèmes qui
relèvent du domaine des principes et valeurs fondamentaux, au
détriment de ceux-ci. Cette tendance est particulièrement
nuisible à la crédibilité de l’Organisation censée incarner la
conscience démocratique de l’Europe.
14.
L’Assemblée estime que la tenue régulière de sommets des chefs
d’Etat et de gouvernement du Conseil de l’Europe permet de
donner l’impulsion nécessaire à l’Organisation et de maintenir
un degré élevé de responsabilité des Etats vis-à-vis de leurs
obligations envers elle.
15. En
matière budgétaire, l’Assemblée se réfère à son avis 272
(2009) relatif aux Budgets du Conseil de l’Europe pour
l’exercice 2010. Les déclarations des Etats membres en faveur
du Conseil de l’Europe doivent être traduites en un soutien
réel et accru de son action, matérialisé en décisions
budgétaires qui permettent à l’Organisation de s’acquitter
pleinement de sa mission statutaire.
16.
L’Assemblée estime également nécessaire d’attirer l’attention
sur le fait que, de plus en plus souvent, les Etats membres de
l’Union européenne soutiennent en bloc au Comité des Ministres
les positions élaborées entre eux et présentées par la
présidence de l’Union. Cette situation officialise en fait un
nouveau clivage à l’intérieur même du Conseil de l’Europe et
est préjudiciable à son unité et son avenir.
17.
L’Assemblée se déclare en faveur du renforcement du rôle des
conférences des ministres spécialisés du Conseil de l’Europe
et de leur impact sur les travaux quotidiens de
l’Organisation. Elle estime qu’il faudrait envisager les
arrangements pour que les différents ministères spécialisés
nationaux puissent intervenir dans le choix des priorités pour
des actions intergouvernementales et contribuer au financement
de certaines activités du Conseil de l’Europe.
18. Par
ailleurs, l’Assemblée considère que le fonctionnement interne
du Conseil de l’Europe, en particulier en ce qui concerne les
relations entre ses organes statutaires, doit être mis
davantage en conformité avec les principes et valeurs
démocratiques qu’il défend. Elle regrette que, jusqu’à
présent, ses propositions formulées dans la
Recommandation 1763 (2006) sur l’équilibre institutionnel
au Conseil de l’Europe, n’ont eu que peu de suivi de la part
du Comité des Ministres.
19.
L’Assemblée est convaincue qu’un bon fonctionnement du Conseil
de l’Europe n’est possible sans un dialogue véritable,
substantiel et permanent entre ses deux organes statutaires.
Les canaux de dialogue et de consultation entre l’Assemblée et
le Comité des Ministres doivent être revitalisés. Dans ce
contexte, l’Assemblée salue l’esprit positif dans lequel se
sont déroulées les récentes réunions informelles entre son
Comité des Présidents et le Bureau du Comité des
Ministres.
20.
Concernant les activités futures du Conseil de l’Europe, en
plus des orientations énoncées dans la Déclaration du Comité
des Ministres à l’occasion du 60ème anniversaire de
l’Organisation (CM(2009)50 final), une attention particulière
devrait être réservée à certains autres domaines tels que la
prévention des crises, en particulier dans les zones de
conflits gelés, l’analyse des causes et la prévention du
terrorisme et de l’extrémisme politique, la violence urbaine,
le renforcement de la participation des citoyens à la vie
politique, et l’impact de la crise économique sur la
démocratie et les droits de l’homme.
21.
L’Assemblée estime que les différents travaux du Conseil de
l’Europe dans le domaine de la démocratie méritent d’être
davantage mis en valeur, et qu’il faut créer sur la base de
différents mécanismes et structures en la matière, tels que le
Forum annuel sur l’Avenir de la Démocratie, les débats
bisannuels de l’Assemblée sur l’état de la démocratie en
Europe, la Commission de Venise, l’Université d’été de la
démocratie et le réseau des Ecoles des études politiques du
Conseil de l’Europe, un « Davos de la Démocratie » –
un véritable laboratoire d’idées, de réflexion et d’expertise
qui pourrait devenir un pôle d’excellence et de référence à
haute visibilité internationale.
22. Par
ailleurs, compte tenu des effets de la mondialisation, la
dimension extra-européenne de tous les problèmes traités au
Conseil de l’Europe devrait être prise en compte. De ce point
de vue, il conviendrait d'exploiter pleinement le potentiel
offert par le Centre Nord-Sud, qui joue un rôle essentiel pour
rapprocher le Conseil de l'Europe du reste du monde.
23.
Concernant la situation de la Cour européenne des droits de
l’homme, l’Assemblée réaffirme son soutien au rôle unique de
cette juridiction et sa ferme position sur la nécessité de
l’entrée en vigueur du Protocole 14 à la Convention européenne
des droits de l'homme, et espère qu’en attendant, l’entrée en
vigueur rapide du Protocole 14bis permettra d’améliorer
partiellement la situation. Elle rappelle l’obligation de tous
les Etats membres de se conformer pleinement à ses arrêts. Ce
faisant, elle se réfère à son avis 272 (2009) relatif aux
Budgets du Conseil de l’Europe pour l’exercice 2010, et
réitère sa position énoncée aux paragraphes 6 à 16 dudit avis.
Elle attend de la conférence sur le fonctionnement de la Cour
prévue au début de 2010 des initiatives fortes afin de trouver
une solution politique à l’impasse actuelle qui met en danger
la pérennité du système de justice européen en matière de
protection des droits de l’homme.
24.
L’Assemblée appelle tous les Etats membres :
24.1. à
jouer pleinement leur rôle et à assumer leur responsabilité
en tant que membres individuels et à part entière du Conseil
de l’Europe, quelle que soit leur position par rapport à
d’autres organisations ;
24.2. à
concrétiser leur attachement au Conseil de l’Europe par une
participation plus active à ses activités et le renforcement
du financement de celles-ci, une adhésion accrue à ses
instruments juridiques et un respect plus strict de leurs
obligations ;
24.3. à
éviter la politisation, la relativisation ou
l’instrumentalisation des questions qui relèvent du domaine
des principes et valeurs fondamentaux au détriment de
l’intégrité et du respect de ceux-ci ;
24.4. à
ne pas considérer les critiques qui peuvent être faites à
leur égard dans le cadre du Conseil de l’Europe comme une
action adverse ou un moyen de pression, mais comme une
démarche ayant pour but d’éliminer des défaillances et
d’améliorer le fonctionnement de la démocratie et le respect
des droits de l’homme ;
24.5. à
veiller au strict respect et à la mise en œuvre complète et
efficace des instruments juridiques du Conseil de l’Europe,
et à garantir un fonctionnement sans entrave des mécanismes
indépendants de suivi de l’Organisation et la mise en œuvre
complète de leurs recommandations.
25.
L’Assemblée appelle les responsables politiques européens de
tous les niveaux à faire preuve de volonté politique pour
assurer un soutien sans faille du Conseil de l’Europe dans
l’accomplissement de ses missions statutaires.
26.
L’Assemblée est consciente que ses propres activités et
méthodes de travail doivent faire constamment l’objet d’une
analyse critique et objective. En particulier, il faut
résister aux tentatives d’instrumentaliser ou de relativiser
en fonction de l’opportunité politique des problèmes qui
relèvent du domaine des principes et valeurs essentiels au
détriment de ceux-ci, et faire preuve de courage politique
pour sanctionner des comportements incompatibles avec ces
principes et valeurs. L’engagement individuel des membres de
l’Assemblée à sa cause et la participation à ses activités
sont essentiels. La tendance négative de baisse de
participation des membres aux travaux de l’Assemblée, qui
traduit en fait un désengagement politique, doit absolument
être renversée.
27.
L’Assemblée exprime sa ferme intention de contribuer encore
davantage, par toutes ses activités, à ce que le Conseil de
l’Europe reste un élément clé de l’architecture
institutionnelle européenne, une institution de référence dans
les domaines de ses compétences de base, et un moteur de
coopération paneuropéenne pluridimensionnelle dans d’autres
secteurs de ses activités.
28. En ce
qui concerne ses propres activités, l’Assemblée
décide :
28.1.
d’appeler instamment ses membres à faire plein usage de
leurs mandats législatifs nationaux afin de promouvoir les
valeurs du Conseil de l’Europe, d’assurer un plein soutien à
ses activités, y compris en ce qui concerne son budget, et
de faire connaître ses propres travaux ;
28.2.
de renforcer ses activités en ce qui concerne le
développement de la base normative de la
démocratie ;
28.3.
d’étudier, dans l’esprit positif des récentes réunions
informelles entre le Comité des Présidents de l’Assemblée et
le Bureau du Comité des Ministres, les moyens de redynamiser
le dialogue et de revitaliser les canaux de consultation
avec le Comité des Ministres, ainsi que d’améliorer la
coopération entre les différentes instances du Conseil de
l’Europe sur les questions cruciales relevant de la
démocratie, des droits de l’homme et de la prééminence du
droit ;
28.4.
d’envisager la mise en place de mécanismes de coopération
avec le Comité des Ministres et, le cas échéant, avec
d’autres instances du Conseil de l’Europe, pour assurer une
exécution plus complète des résolutions et recommandations
de l'Assemblée parlementaire et une réponse coordonnée en
matière de prévention des crises et de règlement des
conflits ;
28.5.
d’inviter plus souvent différents ministres spécialisés des
Etats membres à intervenir au cours de ses débats ;
28.6.
de renforcer sa coopération et de viser à établir des
relations de véritable partenariat avec les parlements
nationaux des Etats membres ;
28.7.
d’envisager, en coopération avec les délégations nationales
concernées, les moyens pour établir un dialogue préalable
avec des représentants des Etats qui assumeront la
présidence au Comité des Ministres, afin de contribuer à
l’élaboration des programmes et à la définition des
priorités des futures présidences ;
28.8.
d’examiner l’opportunité d’associer ex officio à son
Bureau les présidents des délégations parlementaires des
pays de la Troïka (présidences sortante, courante et à venir
du Comité des Ministres) afin de renforcer l’influence
parlementaire sur les présidences du Comité des Ministres et
assurer une plus grande continuité dans l’action de
l’Assemblée ;
28.9.
de veiller à une plus grande pertinence de ses travaux et à
une sélection plus rigoureuse des sujets à traiter de
manière à ne pas se laisser instrumentaliser par des
intérêts nationaux ou partisans ;
28.10.
d’envisager les moyens pour renforcer les activités ciblées
sur des groupes sociaux spécifiques et, en particulier,
d’examiner la possibilité d’organiser régulièrement à
Strasbourg des réunions d’une assemblée européenne des
jeunes ;
28.11.
d’examiner l’opportunité de revenir à une durée de trois ans
des mandats de son Président et des présidents des
commissions afin d’assurer une plus grande continuité de ses
travaux et de faire rapport à l'Assemblée parlementaire sur
la question. Tout changement apporté devra entrer en vigueur
après l'élection du nouveau président de l'Assemblée
parlementaire, en janvier 2010 ;
28.12.
d’intensifier la coopération avec le Parlement européen sur
la base de l’accord sur le renforcement de la coopération
entre les deux institutions ;
28.13.
de renforcer ses relations avec des partenaires extérieurs
et, en particulier, de promouvoir les liens avec les
parlements des Etats voisins de l’Europe dans le cadre du
statut de partenaire pour la démocratie.
1 Discussion par l’Assemblée le
1er octobre (34e séance) (voir Doc.
12017, rapport de la commission des questions politiques,
rapporteur : Mr Mignon). Texte adopté par l’Assemblée
le 1er octobre (34e séance).
Voir également la
Recommandation 1886 (2009). |